Rappel du contexte
Le 12 septembre 2024, la commission juridique de la Ligue de football professionnel (LFP) a ordonné au PSG de verser à Kylian MBAPPE environ 55 millions d’euros, correspondant à l’ultime tiers d’une prime à la signature, aux salaires des mois d’avril, mai et juin 2024, ainsi qu’une prime d’éthique sur ces trois mois. Le PSG a relevé appel de cette décision.
Au mois d'octobre 2024, la commission paritaire d’appel de la LFP a confirmé la décision de la commission juridique et enjoint de nouveau le PSG à régler les sommes dues.
Le club a fait savoir publiquement qu'il ne paierait pas les sommes en cause et demeurait dans l'attente d'une "décision de justice".
Le 11 avril 2025, les Conseils de Kylian MBAPPE ont annoncé avoir fait pratiquer des saisies conservatoires sur les comptes du club. Les saisies n'ont été fructueuses qu'en partie puisqu'elles n'ont porté que sur la somme de 14 millions d'euros (contre les plus de 55 millions visés dans les décisions de la LFP).
Saisies conservatoires : garantir une créance sans subir les délais de procédure
Les saisies conservatoires (ou, plus généralement, mesures conservatoires) permettent à un créancier de prendre des garanties pour assurer le recouvrement de sa créance avant même de disposer d'une décision judiciaire.
C'est une voie de droit souvent nécessaire lorsque l'on connait les délais de procédure qui imposent souvent une durée de 18 à 24 mois entre l'engagement de l'action au fond et l'obtention d'une première décision exécutoire.
Les textes (notamment l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution) prévoient deux conditions cumulatives pour faire pratiquer des mesures conservatoires :
- Une créance fondée en son principe. Le créancier doit démontrer que la créance dont il se prévaut est fondée, prima facie. De jurisprudence constante, il n'est pas nécessaire d'établir à ce stade le fondement incontestable de la créance mais simplement "le caractère vraisemblable d'un principe de créance".
- Des menaces pesant sur le recouvrement de la créance. La créance invoquée doit être atteinte par un risque de défaut du débiteur qui ne se limite pas à un risque de dépôt de bilan mais prend en compte plusieurs facteurs (comportement du débiteur, solvabilité, contraintes financières, etc.).
Les saisies conservatoires de Kylian MBAPPE "annulées"
Le 26 mai 2025, le Juge de l'exécution près le Tribunal judiciaire de Paris a ordonné la "mainlevée" des saisies conservatoires pratiquées par Kylian MBAPPE. Le magistrat a estimé que MBAPPE n'apportait pas suffisamment la preuve d'une apparence de créance et n'était pas parvenu à démontrer une menace dans son recouvrement.
En attendant l'analyse détaillée de la motivation du Juge de l'exécution, plusieurs éléments peuvent être soulignés pour mettre en évidence les forces et faiblesses du dossier de l'attaquant des Bleus.
Sur la créance fondée en son principe :
- La créance de Kylian MBAPPE prend sa source dans les contrats conclus avec le PSG.
- Le club invoque pour sa part une renonciation orale de MBAPPE à se prévaloir de ces sommes. Le caractère oral de cette renonciation pose de nombreuses difficultés tant sur le plan de la preuve que sur son effectivité. Difficile d'établir que cette renonciation était libre et non équivoque, a fortiori à une période où le club exerçait une pression accrue sur le joueur (voir l'épisode du lofting).
- Deux décisions successives de la LFP ont confirmé le bienfondé de la créance de MBAPPE et enjoint au club de verser les sommes réclamées par le joueur. Le PSG semble essayer de tirer parti de l'absence de caractère juridictionnel des décisions de la LFP pour éviter de procéder au paiement.
La créance de Kylian MBAPPE semble donc satisfaire aux conditions posées par la loi et la jurisprudence pour justifier les mesures conservatoires diligentées.
Les menaces pesant sur le recouvrement de sa créance sont toutefois plus difficiles à établir :
- Le PSG bénéficie d'un appui financier étatique qui peut être de nature à écarter le risque de recouvrement. La jurisprudence a pourtant pu souligner que les soutiens financiers informels pouvaient être retirés à tout moment et ne pouvaient donc suffire à écarter tout risque de recouvrement.
- Le Juge de l'exécution doit se placer au jour où il statue pour rechercher l'existence de menaces pesant sur le recouvrement. Le caractère majoritairement infructueux des saisies pratiquées est un indice supplémentaire de l'existence de ces menaces.
- La seule contestation de la créance ne permet pas de caractériser des menaces pesant sur le recouvrement. En revanche, des critères subjectifs ayant trait au comportement du débiteur peuvent être pris en compte pour corroborer le risque de défaut. La prise de position publique et sans nuance du PSG qui annoncé qu'il ne paierait pas est un élément à prendre en compte dans l'analyse.
- Une analyse financière doit permettre de comparer le montant de la créance aux principaux indicateurs financiers du club.
Le bras de fer continue
Kylian MBAPPE peut relever appel de la décision du Juge de l'exécution ayant ordonné la mainlevée des mesures conservatoires. La Cour d'appel devra alors examiner à nouveau l'affaire en confrontant les faits aux critères légaux énoncés.
La loi impose en outre à MBAPPE d'engager une action judiciaire dans le mois suivant la réalisation des saisies conservatoires sous peine de caducité (article L. 511-4 du code des procédures civiles d'exécution).
Les saisies conservatoires ne sont donc que l'échauffement, le match est à venir.
A retenir pour tous les dossiers
- Les saisies conservatoires permettent de garantir une créance avant même de disposer d'une décision judiciaire de condamnation
- Il n'est pas nécessaire de prouver le bienfondé de la créance mais simplement le caractère vraisemblable du principe d'une créance
- Le recouvrement de la créance doit être menacé par des circonstances qui doivent être documentées par le créancier
- La procédure est rapide (quelques jours) et non contradictoire dans un premier temps (le débiteur n'est informé qu'au moment de la réalisation des saisies)